Les prémices du tatouage Japonais

Les premiers Ă©crits trouvĂ©s et conservĂ©s concernant le tatouage le dĂ©crivent comme une forme de jugement et de discrimination. Dans le Nihonshoki (Les chroniques du Japon) Ă©crit aux alentours du VIIIème siècle, des symboles Ă©taient tatouĂ©s sur le visage des classes pauvres et des criminels comme signe de diffĂ©renciation.

Ces symboles tatouĂ©s Ă©taient une rĂ©fĂ©rence au gei et reprĂ©sentent une ère très sombre du tatouage japonais. Cependant, l’utilisation de tatouage comme punition ou autres coutumes nĂ©gatives diminua finalement au fil du temps, cette utilisation se rarĂ©fiant sur les derniers siècles. Le tatouage rĂ©apparaĂ®t dans la littĂ©rature au dĂ©but de l’ère d’Edo (1600-1867).

Alors que les anciennes pratiques concernant la punition ou le marquage de classe n’étaient pas nĂ©cessairement relancĂ©es, l’utilisation du tatouage au Japon revit le jour. 

Suivant une répression des régions en guerre, le tatouage japonais dans sa forme simple et primaire prit sa place dans le quartier des plaisirs qu’est Keihan (Kyoto-Osaka).

Les prostituĂ©s et leurs clients exposaient leur gage d’amour en se tatouant l’un l’autre un point sur la main, qui Ă©taient appelĂ©s des irebokuro.  Les irebokuro n’étaient pas limitĂ©s Ă  marquer les relations entre hommes et femmes, ils Ă©taient Ă©galement le symbole de liens entre hommes, pour renforcer le serment entre eux.

Ces irebokuro Ă©taient appelĂ©s des kishobori, des tatouages de serment.

Davantage d’exemples de kishobori peuvent ĂŞtre retrouvĂ©s en remontant jusqu’à l’ère de Kan’ei (30 fĂ©vrier 1624 – 16 dĂ©cembre 1644), notamment lorsqu’une prostituĂ©e d’Osaka s’était tatouĂ©e sur l’épaule «Shichisama inochi» (Ma vie pour M.Sept).

Un autre exemple est celui d’Isshin Tasuke, un poissonnier d’Edo qui s’est tatouĂ© dans le cou «Isshin Byakudou» (en rĂ©fĂ©rence Ă  l’allĂ©gorie bouddhiste «Nigabyakudou» , le chemin blanc pour le paradis qui repose entre les deux rivières des vices du monde).

Ainsi le kishobori revĂŞt diffĂ©rentes formes dans le tatouage: des points, des noms et de courts textes.

Illustration japonaise đź‘ą Nuevo Mundo studio de tatouage japonais Ă  Strasbourg

Dans la cinquième annĂ©e de la pĂ©riode de Kyoho (22 juin 1716 – 28 avril 1736), le shogun Tokugawa Yoshimune (1684-1751) entama une ère de rĂ©forme appelĂ©e Les cent articles de lois, qui rĂ©instaura la pratique du tatouage comme châtiment, après près de mille ans d’absence de cette utilisation.

 Ă€ ce moment le tatouage utilisĂ© comme punition n’était plus beaucoup appelĂ© gei mais plus gĂ©nĂ©ralement irezumi. Ainsi l’irezumi, la rhinotomie (incision/ablation du nez), le dĂ©coupage d’oreilles Ă©taient utilisĂ©s comme châtiment pour la fraude, extorsion et la contrebande. La forme et les motifs de ces tatouages dĂ©pendant de la rĂ©gion corporelle oĂą ils Ă©taient faits. Beaucoup d’entre eux Ă©taient de larges bandes noires faites tout autour des bras, ou bien des Ă©critures sur le front, afin que les châtiĂ©s puissent ĂŞtre facilement reconnus. Cette coutume dura jusqu’à l’ère Meiji (8 septembre 1869 – 30 juillet 1912) oĂą le tatouage comme châtiment fut enfin aboli et cette coutume supprimĂ©e. 

Aujourd’hui le terme irezumi est utilisĂ© pour dĂ©crire le tatouage japonais traditionnel, mais cela peut ĂŞtre facilement confondu avec l’idĂ©e toujours ancrĂ©e de punition prenant place durant l’ère d’Edo.

C’est pourquoi le kishobori, que ce soit sous la forme de texte ou de motifs, Ă©taient communĂ©ment appelĂ©s horimono pour aider Ă  les diffĂ©rencier des irezumi (comme tatouage de châtiment).

Bien qu’il n’y ait aucune relation entre le horimono et le irezumi, les gens craignaient les personnes tatouĂ©es. Les tatouages sont Ă©galement devenus une forme d’intimidation, ce qui a amenĂ© certaines personnes Ă  se tatouer uniquement dans ce but, ce qui a donnĂ© naissance au ikakubori, ou le tatouage d’intimidation.

Une large gamme de tatouages Ă©taient toujours peu communs, les tatouages de petits textes Ă©taient les plus rĂ©pandus. Les motifs figuratifs ont gagnĂ© en popularitĂ© durant l’ère Horeki (27 octobre 1751 – 2 juin 1764). Les seuls motifs de cette Ă©poque Ă©taient relativement petits, il s’agissait souvent des blasons familiaux ou de namabuki (une tĂŞte fraichement coupĂ©e), les tatouages plus Ă©laborĂ©s et plus grands venant plus tard.

De 1787 à 1793, le régent Matsudaira Sadanobu (1758-1829) entreprit les réformes de Kansei, une série de mesures conservatrices visant à surmonter la crise du shoguna afin de réduire lourdement l’industrie du tatouage et du sexe.

De ce fait durant l’ère Horeki l’industrie du plaisir fût assez persécutée, ce qui eu pour impact que l’activité du tatouage devint assez réduite. Cependant, durant l’ère de Kyowa (5 février 1801 – 11 février 1804), les anciennes règles concernant l’industrie du plaisir furent abolies, les activités reprirent peu à peu vie. Comme la population avait atteint le pic de sa maturité, de nouvelles modes virent le jour et furent mises en avant, ce qui donna naissance à l’ère de Bunka-Bunsei (1804-1829).

Voguant sur les tendances de cette nouvelle pĂ©riode, le tatouage figuratif devint une mode bien que pendant huit annĂ©es de l’ère de Bunka (Ă  partir de 1811) le Shoguna imposa Ă  nouveau une prohibition concernant le tatouage. Un essai intitulĂ© «Noter annĂ©e après annĂ©e», Ă©crit de 1801 Ă  1805 par Ishihira MasaakiraĂ  Kyowa, dĂ©crit comment les pompiers (surtout ceux ayant Ă©tĂ© recrutĂ©s dans le bâtiment) Ă©taient souvent tatouĂ©s. Cependant les tatouages des combattants du feu couvraient habituellement le bras jusqu’à l’épaule (datebori) et n’étaient pas des pièces aussi importantes qu’aujourd’hui. 

Dans la septième annĂ©e de l’ère de Horeki (1757), une des quatre plus importantes nouvelles de Chine, le Suikoden, fut publiĂ©e pour la première fois au Japon, elle devint l’une des influences majeures dans les motifs et l’évolution du tatouage japonais, notamment sur les grandes pièces dorsales. 

Ce livre, qui fut traduit par Okajima Kanzan, avait pour titre Suikoden: le Suikoden populaire de la loyauté.

Le Suikoden raconte l’histoire d’un groupe de 108 hĂ©ros s’étant assemblĂ©s au Mont Liang (Ryozanpaku en japonais) qui formèrent une armĂ©e Ă  qui le gouvernement accorda une amnistie, qui fut envoyĂ©e pour supprimer les forces rebelles et stopper l’invasion de peuples Ă©trangers. Rapidement diffĂ©rentes adaptations du Suikoden virent le jour sous la forme de vaudeville et de pièces de théâtre/performances vivantes, ce qui fit gagner la lĂ©gende en notoriĂ©tĂ©. 

Dans la seconde annĂ©e de l’ère de Bunka (1805), le Shinpen Suikogaden (Nouvelle Ă©dition illustrĂ©e du Suikoden) de Takizawa Bakin (1767-1848) fut publiĂ© et rencontra un Ă©norme succès. C’était somptueusement illustrĂ© par Katsushika Hokusai (1760 – 1849), et cela marqua la première fois oĂą l’on put voir des tatouages dans une publication japonaise, mĂŞme si les motifs de tatouages  dessinĂ©s par Hokusai Ă©taient incomplets et reprĂ©sentaient uniquement le style nukibori.

Si Hokusai fut un pionnier dans l’influence du tatouage traditionnel japonais, les peintures de l’artiste Utagawa Kuniyoshi du Suikoden, publiĂ©es dans la dixième annĂ©e de la pĂ©riode Bunsei (1827), ramenèrent un rĂ©el Ă©clat Ă  l’art. Les guerriers de l’oeuvre Les 108 hĂ©ros du Suikoden populaire de Kuniyoshi Ă©taient peints avec de somptueux tatouages, quelque chose qui n’avait jamais Ă©tĂ© fait auparavant dans l’ukiyo-e (gravure sur bois japonaise, voulant littĂ©ralement signifier «images du monde flottant»), ce qui eu un Ă©norme impact. Kuniyoshi utilise du rouge et de l’indigo comme notes dominantes pour illustrer les tatouages, qu’il montre comme couvrant le corps entier. Les tatouages font Ă©chos aux mouvements amples des personnages, procurant de la beautĂ©, de la force et de la vie aux peintures. Les peintures de Kuniyoshi n’ont pas seulement jouĂ© une place importante dans l’influence future des motifs de tatouages, elles ont frĂ©quemment Ă©tĂ© simplement rĂ©pliquĂ©es pour ĂŞtre tatouĂ©es. Avec l’ukiyo-e de Kuniyoshi, le Suikoden devint extrĂŞmement populaire, ayant naturellement un effet sur le tatouage. MĂŞme dans le monde du spectacle l’idĂ©e de couvrir les corps de tatouages devint frĂ©quente. Comme les images de Kuniyoshi et de ses apprentis Ă©taient Ă©normĂ©ment tatouĂ©es, les ukiyo-e du maĂ®tre devinrent des gravures sur bois dont on se servait directement comme modèle pour tatouer. Avec l’essor de l’acceptation du tatouage, les petits tatouages (comme ikakubori ou datebori) qui Ă©taient assez communs se firent remplacer peu Ă  peu par de grandes pièces dorsales, allant jusqu’aux bras et au torse. Ces pièces d’art figuratives devinrent les tatouages prĂ©fĂ©rĂ©s et il est communĂ©ment admis qu’il s’agit des bases du tatouage japonais moderne.

UN PROJET DE TATOUAGE ?